Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles


Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles est un film franco-belge, long métrage en couleurs de Chantal Akerman, réalisé en 1975.

Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles. Titre en forme d'adresse postale pour trois jours de la vie d'une ménagère belge, prostituée d'occasion.
Chantal Akerman avait vu aux Etats-Unis les tenants de l'avant-garde, les expériences limites de Warhol (Sleep, 1963) ou de Michael Snow (La région centrale, 1971) qui avaient découvert de nouveaux champs du filmable. Influencée par eux, elle filme aussi ce que personne avant elle ne pensait digne d'intérêt : un repas de soupe et pommes de terre, préparer une escalope panée ou éplucher des pommes de terre, autant d'activés filmées en temps réels.
Jean-Marc Lalanne rappelle qu'elle allait pourtant plus loin et ouvrait là une voie inédite au cinéma : filmer le quotidien, ses rites rassurants, sa routine aliénante et en faire une bombe à retardement lorsque l'on dérègle les procédures.

 
Il rappelle que Gus van Sant a découvert le film durant ses études d'art plastiques, peu de temps après sa sortie et le tient comme une des scènes originelles de son cinéma.
"Quand j'étais enfant, j'ai observé ma mère très longuement dans sa cuisine et voilà qu'une cinéaste vous communiquait quelque chose à travers cette expérience, vous montrait directement une expérience, une expérience banale qui vous laisse sans voix."
Et Jean-Marc Lalanne de continuer : "de fait Elephant peut être envisagé comme un remake et indirect et transposé de Jeanne Dealman. On y retrouve cette répétition des mêmes gestes jusqu'à ce qu'une giclée de violence vienne en perturber l'ordonnance, cet usage de la caméra comme un œil mécanisé qui perd parfois les personnages et même La lettre à Elise que Jeanne écoute à la radio le second soir et que joue au piano le jeune tueur de Elephant.


Il y a bien chez ces deux auteurs la constitution d'une image cristal, la volonté de faire tenir dans un ensemble restraint de lieus et de jours le banal et l'extraordinaire, la quotidienneté et la monstruosité.
Les deux premiers jours, les gestes sont précis, réglés, millimétrés. La succession des plans fixes, les entrées et sorties de champs du personnage font du film une sorte de balai domestique. La soupière sur la table, les casseroles ou la bouilloire dans la cuisine, filmées avant et après la présence de Jeanne, y sont magnifiées comme de somptueuses natures mortes. L'aliénation de Jeanne à son quotidien repose sur cette mécanique de précision, lorsqu'elle s'active entre des objets et des tâches qu'elle maîtrise.
Les confidences du fils ouvrent cependant la porte sur le vide affectif de Jeanne. Elle nie le plaisir sexuel et a renoncé à se remarier. Ses sorties au dehors ne semblent pas excéder le périmètre des courses le jour et le tour du pâté de maison le soir.
Lors de la passe avec le deuxième client, probablement, le réveil s'arrête. Jeanne est en retard, les pommes de terre sont trop cuites. Elle n'a pas le temps de se coiffer. Le soir elle n'arrive à rien. Ce dérèglement augmente le lendemain. Cette fois, le réveil est en avance. La brosse à chaussure tombe des mains de Jeanne, la petite cueillere ensuite lui échappe. Une attente inhabituelle devant la poste ou le marchand qui n'ouvre pas sa grille lui font découvrir une béance insoupçonnée.
Comme épuisée, Jeanne s'arrête entre les taches ménagères. Elle soupire. La troisième passe avec le client révèle que Jeanne éprouve un plaisir qu'elle n'assume pas. Déréglée, perdue pour perdue, sous le coup d'une impulsion, elle assassine son client. Longuement (le dernier plan dure 5 minutes 30), mécanique cassée, elle attend.

Sources : Jean-Marc Lalanne
Jean-Luc Lacuve







Extrait du Making of de Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles, réalisé par Sami Frey