Serge Venturini est un poète aux aguets. Aux aguets du feu qui couve au loin, aux aguets du feu qui brûle en lui.
« Nuage rouge », comme on le surnomme, Serge Venturini n’est
pas un brasier de colère, mais un éveilleur de lucide conscience. Ses
traductions d‘Alexandre Blok, d’Anna Akhmatova, de Sayat-Nova et
d’autres, ses hommages à Missak Manouchian, renseignent sur son empathie
pour « la poétique de résistance », vers ceux qui se tiennent debout à
l’orée des mots.
Mots d’éclairs destinés à consumer tous les hommes de paille squattant l’humanité.
Serge Venturini est un poètefrançais, né le 12octobre1955 à Paris.
C'est un poète du devenir humain. Il écrit dans le devenir de la
poésie. Sa poétique est traversée par de nombreuses métamorphoses : Poétique du devenir humain (2000), Poétique du posthumain (2007), Poétique du transhumain (2009), au Journal du transvisible (2010), de la Poétique de l'inaccompli (2012) à la Poétique de l'approche de l'inconnaissable, (2010-2013).
Sa poésie philosophique est en lutte contre les conformismes, elle
cherche l'éclatement des genres et n'éclaire que par renversements.
Serge Venturini dirige depuis 2009, la collection « Lettres arméniennes » aux Éditions L'Harmattan. Sa poésie engagée est celle d'un « itinérant avec la brûlante et dense vérité de sa parole en actes. »
Il attend tapi, à l'affût, dans le transvisible qu’il définit ainsi : Entre le visible et l'invisible, le réel et le rêve, le
transvisible se situe à l'intersection de ces mondes, des mondes, où il
joue l'interface. Insistons sur leur perméabilité, la porosité de ces
mondes, car certains esprits trop cartésiens sont étrangers à ce
dialogue. Les poètes mythographes, vecteurs de transvisibilité, passeurs
de lumière, porteurs du feu de la parole, sont des êtres à mi-chemin
entre ces deux mondes. Dans le passage du visible à l'invisible, du
monde des vivants au monde des morts, le transvisible transfigure le
temps.
Gil Pressnitzer
TIGRE DE L’ŒIL
Et que derrière un voile, invisible et présente, J’étais de ce grand corps, l’âme toute-puissante.
Jean Racine, « Britannicus », I, 1, Agrippine, 1669
Au-dessus des eaux mugissantes et glacées du fleuve des morts, il
existe un pont entre le visible et l’invisible ; à peine un léger pont,
étroit et tranchant comme un yatagan, tout au plus une fragile
passerelle rouge et noire que l’on franchit, le temps d’une vision.
Cette vision partant du visible s’ouvre vers l’invisible. Or, nous cheminons hennissant tel Pégase vers le transvisible. Les êtres visibles me sont souvent invisibles, alors que je vois, dans mes absences au monde réel, — les êtres invisibles. Lorsque mon regard transperce l’invisible, ils me sont manifestes
dans la transparence, ils viennent sourdre du visible pour apparaître,
tout droit venus de l’invisible couverts de cette rosée comme surgis
d’une brume épaisse, connus et inconnus. Le beau, et cela n’est guère neuf, est l’expression de l’invisible,
même si le mystère de ce monde demeure dans le visible, même si les
temps où nous vivons refusent de regarder en face l’invisible, car ils
refusent de sortir de la matière pour voir au-delà du corps.
Chez eux, — l’œil n’écoute plus rien, n’entend plus ni langues rares, ni
couleurs stridentes, ni parfums empourprés.
Quand la porte du visible est enfin ouverte, alors dans toute sa
splendeur les formes éclatantes émergent de l’invisible. Les corps
animés deviennent musique, théâtre d’ombres portées au plus noir, —
têtes renversées. Cependant nous ne sommes plus dans le monde des fantômes, dans le
monde des fausses apparences, nous sommes dans le monde de l’être, — du
devenir même aux formes changeantes et scintillantes, où nous apercevons
l’espace-temps d’un instant, le déploiement de ces beautés neigeuses
d’éclat qui toujours nous subjuguent. — Ô Fravarti ! Elles vont ces corps-dansant, ces corps fluides, ces corps liquides
se développant aux rayons du soleil naissant, corps brûlants entrevus, à
la flamme d’une chandelle, au clair-obscur du désir, comme au plus
profond de la nuit miroitante. Dans un mythe qui n’a pas encore dit son nom, étoile non-visible à
l’œil nu, — ma présence dévoilée se révèle dès lors dans l’invisible. —
Non ! Je ne suis pas hors du grand corps, — mais en plein cœur de la vision.
Lenore Kandel a été une figure
incontournable de la contre-culture californienne des années 60. Son
chant du cygne a été la publication puis l'interdiction de son recueil
de poèmes "The Love Book" en 1966. Ses poèmes sont l'expression la plus intransigeante et la plus lyrique de l'érotisme et du désir féminins. Lenore Kandel est née en 1932 à New
York City, de parents russe et mongol. Elle arrive à San
Francisco en 1960, où elle rencontre les poètes de la beat generation,
notamment Gary Snyder et Jack Kerouac. Dans le roman d'inspiration
autobiographique "Big Sur" (1962) de Kerouac, Lenore Kandel apparait à
travers le personnage de Romana Schwarz. En
1966-1967, elle est partie prenante de la "révolution psychédélique"
dans le quartier de Haight Ashbury de San Francisco. Elle publie son
recueil "The love book", qui comprend 4 poèmes remarquables ("God/Love
poem", et un long poème en 3 "phases", "To fuck with love").
A peine
publié, une plainte est déposée contre le recueil et ceux qui le
diffusent pour "pornographie et obscénité", et il est saisi par la
police dans les librairies où il est en vente, principalement les
librairies hip telles que "City Lights Bookstore" et "The Psychedelic
Book Shop". Le procès en 1967 se soldera par une interdiction de la
vente du recueil (censure levée en 1971), mais lui en aura assuré une
telle publicité que plus de 20.000 exemplaires seront malgré tout
vendus. En remerciement ironique, Lenore Kandel reversera 1% de ses
gains à une association pour assurer la retraite des policiers. Son
recueil interdit à la vente, Lenore Kandel lit ses poèmes "licencieux"
en public. En janvier 1967, elle lit ses poèmes sur scène à l'occasion
du festival géant "The Human Be-In". Elle
prend une part prépondérante dans les activités des Diggers. En février
1967, elle participe à l'immense happening "The Invisible Circus"
organisé dans une église : punch au LSD, musique psychédélique, diverses
animations proposées par les Diggers et l'ALF (Front de Libération des
Artistes), avec Richard Brautigan comme "reporter officiel" qui tire sur
une ronéo des poèmes au kilomètre qui sont immédiatement distribués
dans la ville comme des dépèches d'agence de presse. Tandis que Lenore
Kandel lit ses poèmes interdits, des couples voire plus baisent dans
tous les recoins de l'église. Prévu durer 72 heures, les flics virent
tout le monde après 8 !
Elle publie un nouveau recueil de poèmes plus conséquent en 1967, "Word alchemy".
En
1968, la bande des Diggers abandonne le terrain de Haight Ashbury aux
capitalistes hippies qui ont fondu sur San Francisco depuis le Summer of
Love de l'été 1967. Chacun continue sa route là où elle le mène. Lenore
Kandel épouse Billy Fritsch, et tous deux rejoignent les Hell's Angels.
Ils vécurent heureux et eurent un grave accident de moto ensemble en
1970. Grièvement bléssée à la colonne vertébrale, Lenore Kandel
souffrira tout le reste de son existence de violentes douleurs au dos,
et ne quittera plus guère son petit appartement de San Francisco, où
elle continuera d'écrire (sans jamais plus être publiée) et de recevoir
ses nombreux amis qu'elle régalera de sa sérénité et de sa fantaisie
inentamées malgré les accidents de la vie. Lenore Kandel est morte dimanche 18 octobre 2009 à San Francisco, à 77 ans, d'un cancer au poumon. L'Unique, de peau et de chair
TO FUCK WITH LOVE PHASE III
BAISER AVEC AMOUR PHASE III
baiser avec amour aimer avec toute la chaleur et la sauvagerie de la baise la fièvre de ta bouche dévorant tous mes secrets et mes alibis me laissant pure brûlée dans l'oubli la douceur INSUPPORTABLE bouche touchant à peine bouche
téton à téton nous nous sommes touchés et fumes pétrifiés par un flux d'énergie au-delà de tout ce que j'ai jamais connu
nous nous sommes TOUCHES !
et deux jours plus tard ma main étreignant ta bite dégoulinante de sperme ENCORE !
l'énergie indescriptible presque insupportable
la barrière du noumène-phénomène transcendé le cercle momentanément completparfait allongés ensemble, nos corps se glissant dans l'amour qui ne s'est jamais échappé j'embrasse ton épaule et elle empeste le désir le désir des anges érotiques baisant les étoiles et criant leur joie insatiable à travers le paradis le désir des comètes entrant en collision dans l'hystérie céleste le désir des déités hermaphrodites se faisant des choses inconcevables l'une à l'autre et HURLANT DE PLAISIR à travers l'univers entier et au-delà et nous sommes allongés ensemble, nos corps humides et brulants, et nous PLEURONS nous PLEURONS nous PLEURONS les larmes incroyables que les saints et les hommes sacrés ont versé en présence de leurs propres dieux incandescents
j'ai murmuré l'amour dans chaque orifice de ton corps comme tu l'as fait en moi
mon corps entier se transforme en une conbouche mes orteils mes mains mon ventre ma poitrine mon épaule mes yeux tu me baises continuellement avec ta langue tu regardes avec tes mots avec ta présence
nous nous transformons nous sommes aussi doux et chauds et tremblants qu'un papillon doré nouveau venu
l'énergie indescriptible presque insupportable la nuit quelquefois je vois nos corps luire
L’écriture sous stupéfiants reste une énigme et tient toujours du miracle…
En effet, comment composer avec l’obsession toxique qui réduit une vie à la quête incessante du produit et la capacité à créer et à rendre compte du bien réel comme dans le cas d’Herbert Huncke ? Coupable de Tout est une compilation inédite, à ce jour en français, et précieuse des écrits d’un ange noir de la Beat Génération, cette comète folle qui lança définitivement la contre culture.
Herbert Huncke apparaît, en effet, sous divers noms dans quelques opus de Kerouac, de Ginsberg et de Burroughs, non en tant qu’écrivain – qu’il ne fut jamais complètement même s’il en avait la carrure – mais bien comme toxico, dealer et aigrefin de Times Square .
Pourtant, Huncke avant de connaître une vie de "clochard céleste" s’intéressera authentiquement à la poésie et à l’art en général.
Conteur exceptionnel, âme sensible, cœur généreux mais faible, Herbert Huncke, à la différence de ses copains écrivains que la gloire installa, en dépit de leurs propres écarts, dut se débrouiller tout seul, dans la rue et celle-ci ne fait pas de cadeaux, ne s’encombre pas de politesses et de paroles données.
Manger ou être mangé, telle est sa loi.
Herbert Huncke connaîtra la drogue dès les années 30, cocaïne et le crack. Herbe, amphétamines et héroïne sont ses compagnes inséparables avec leur cortège de "désagréments" : manque, errance, sexualité trouble et... prison.
Encore une chose qui l’éloigne de ses potes bobos et le rapproche un peu plus d’un Neal Cassidy (Dean Moriarty dans Sur la Route) par exemple (l’un et l’autre fréquentèrent Jerry Garcia, guitariste et fondateur du Grateful Dead, qui assura le gîte de Huncke au Chelsea Hotel sur la fin de sa vie).
Les textes proposés ici sont constitués principalement d'une galerie de portraits de figures de la faune newyorkaise d’après guerre, de récits et de notations du quotidien d’un junky qui n’oublie pas de tout regarder avant de sombrer dans les délices artificiels des rêves narcotiques.
Mis bout à bout, ces textes constituent une sorte d’opéra trash qui annonce l’œuvre d’un Lou Reed.
On y trouve aussi, en plus des commentaires intimes, de pertinentes remarques sur les auteurs beat. Retenons celle-ci concernant Burroughs qui témoigne d’une clairvoyance littéraire rare : "
En tant qu’écrivain, c’est un maître, et il a assurément mis à nu les
conventions sociales actuelles. Mais il y a cette froideur – il a
quelque peu oublié l’élément humain, il me semble."
Pour conclure, nous dirons que ce document contribue, après le passionnant Sur Ma Route de Carolyn Cassidy (femme de Neal), à apporter un éclairage unique sur une période qui vit définitivement changer l’Amérique et la littérature.
On se souviendra que ce décryptage velvetien avant la lettre vint d’un homme mort dans le warholien Chelsea Hotel en 1996 et qui écrivait de lui-même: "On dirait que je distille un poison"
Le Seuil. 2009
Extraits :
-Aujourd'hui un coucher de soleil a le pouvoir de me remplir
d'une conscience de la beauté qu'aucune autre chose ne saurait susciter
en moi.
-Un certain désespoir émanait des clients de ces beuveries
répétitives, comme s'ils cherchaient délibérément l'autodestruction.
Extérieurement ils appartenaient à la jeunesse dorée, mais au fond ils
débordaient de colère et de haine.
-Je suis là, mais en fait, c'est l'appart de Florence. Il est
lumineux, propre, frais et blanc. Il dégage une sorte d'éclat, mais j'ai
peur que ma simple présence suffise à l'enténébrer.
-Jack était le type même du jeune Américain propre sur lui. Pour
moi, il avait l'air d'une pub pour les chemises Arrow : leur campagne
représentait toujours des jeunes hommes d'affaires américains modernes,
avec une coupe de cheveux impeccables et l’œil pétillant. Le portrait
craché de Jack.
-La clique qui se réunissait plus ou moins là consistait en
qu'une poignée d'individus à la Oscar Wilde, très décadents et très
fins, avec un mordant terrible- presque venimeux dans leurs sarcasmes.
-Pourtant, Bill m'agaçait parfois. Tout d'abord, il a donné de moi une description peu flatteuse dans "Junky".
-Les crimes devenaient plus violents. Les guerres des gangs organisés devenaient monnaie courante.
-Comme je pense à la visite d'Irwyne et à nos longues années
d'amitié, un afflux de chaleur pénètre mon esprit et je souris-ferme les
yeux.
Danielewski passe son enfance entre l’Afrique, l’Inde, l’Espagne, et la Suisse. Après des études secondaires dans un lycée de l’Utah, il étudie la littérature anglaise à l’université Yale puis le latin à Berkeley. Enfin, après avoir vécu de petits boulots et voyagé en Europe, il entre dans une école de cinéma de Los Angeles.
Entre 1993 et 1997, il écrit House of Leaves, un récit autour d'une maison plus grande à l'intérieur qu'à l'extérieur. En 1999, Pantheon Books accepte de le publier et il compte parmi les finalistes du prix Bram Stoker dans la catégorie « Premier Roman ». L'ouvrage paraît en France chez Denoël sous le titre La Maison des feuilles en 2002 (trad. Christophe Claro).
En 2000, Danielewski fait une tournée promotionnelle pour son livre et sort The Whalestoe Letters, complément à La Maison des feuilles.
Il remporte le Young Lions Fiction Award à New York en 2001.
La Maison des feuilles est un livre étrange et complexe, doté d’une mise en page hallucinée, de textes disloqués. Danielewski y mélange plusieurs narrations qui s’entremêlent jusqu’à brouiller le lecteur en combinant les styles et les genres - roman mais aussi extrait de magazine, interview, citation authentique ou inventée, critique photographique, etc.
« La maison, les couloirs et les pièces deviennent toutes le moi – un moi qui s’effondre, s’agrandit, bascule, se ferme, mais toujours en rapport parfait avec l’état mental de l’individu. »
En 2007, paraît en France O Révolutions (en anglais Only Revolutions), récit dense et complexe dont la lecture est rendue difficile par la juxtaposition du récit des 2 héros (le livre se lit à l'endroit et/ou à l'envers) et par la présence de notes historiques en marge. Cette œuvre a été largement saluée par la critique pour son audace formelle mais aussi pour l'extraordinaire poésie de la langue qui témoigne à merveille d'une Amérique dont la raison d'être est le renouvellement perpétuel, la constante fuite en avant.
« Faible est le réconfort que tirent ceux qui se désolent quand les pensées continuent de dériver alors que les murs continuent de bouger et que ce vaste monde bleu qui est le nôtre ressemble à une maison de feuilles quelques instants avant le vent. »
Paroles de l'auteur, Mark Z. Danielewski :
« La maison des feuilles» était un livre entièrement tourné sur lui-même, un livre fait d’intériorité. Un livre consumé par l’idée de parenté, et profondément introspectif. Je savais, en écrivant les dernières pages, que j’allais devoir sortir de cette maison. J’avais besoin d’extériorité, de me consacrer au dehors des choses. J’avais d’ailleurs observé que beaucoup de lecteurs, qui avaient aimé «la Maison des feuilles», vivaient dans le roman comme dans une maison dont ils ne pouvaient pas sortir. Plutôt que de s’intéresser au monde extérieur, à la vie tout simplement, ils se passionnaient pour mes héros, Pélafina ou Zampano. J’en étais très heureux bien sûr. Mais j’avais envie de leur dire: «Maintenant, lâchez ce livre, et allez voir ce qui se passe dans la réalité ».
« Et sans doute notre temps... préfère l'image à la chose, la copie à l'original, la représentation à la réalité, l'apparence à l'être... Ce qui est sacré pour lui, ce n'est que l'illusion, mais ce qui est profane, c'est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité et que l'illusion croît, si bien que le comble de l'illusion est aussi pour lui le comble du sacré. »
1
Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation.
2
Les images qui se sont détachées de chaque aspect de la vie fusionnent dans un cours commun, où l'unité de cette vie ne peut plus être rétablie. La réalité considérée partiellement se déploie dans sa propre unité générale en tant que pseudo-monde à part, objet de la seule contemplation. La spécialisation des images du monde se retrouve, accomplie, dans le monde de l'image autonomisé, où le mensonger s'est menti à lui même. Le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant.
3
Le spectacle se représente à la fois comme la société même, comme une partie de la société, et comme instrument d'unification. En tant que partie de la société, il est expressément le secteur qui concentre tout regard et toute conscience. Du fait même que ce secteur est séparé, il est le lieu du regard abusé et de la fausse conscience ; et l'unification qu'il accomplit n'est rien d'autre qu'un langage officiel de la séparation généralisée.
4
Le spectacle n'est pas un ensemble d'images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images.
5
Le spectacle ne peut être compris comme l'abus d'un mode de la vision, le produit des techniques de diffusion massive des images. Il est bien plutôt une Weltanschauung devenue effective, matériellement traduite. C'est une vision du monde qui s'est objectivée.
6
Le spectacle, compris dans sa totalité, est à la fois le résultat et le projet du mode de production existant. Il n'est pas un supplément au monde réel, sa décoration surajoutée. Il est le coeur de l'irréalisme de la société réelle. Sous toute ses formes particulières, information ou propagande, publicité ou consommation directe de divertissements, le spectacle constitue le modèle présent de la vie socialement dominante. Il est l'affirmation omniprésente du choix déjà fait dans la production, et sa consommation corollaire. Forme et contenu du spectacle sont identiquement la justification totale des conditions et des fins du système existant. Le spectacle est aussi la présence permanente de cette justification, en tant qu'occupation de la part principale du temps vécu hors de la production moderne.
7
La séparation fait elle-même partie de l'unité du monde, de la praxis sociale globale qui s'est scindée en réalité et en image. La pratique sociale, devant laquelle se pose le spectacle autonome, est aussi la totalité réelle qui contient le spectacle. Mais la scission dans cette totalité la mutile au point de faire apparaître le spectacle comme son but. Le langage spectaculaire est constitué par des signes de la production régnante, qui sont en même temps la finalité dernière de cette production.
8
On ne peut opposer abstraitement le spectacle et l'activité sociale effective ; ce dédoublement est lui-même dédoublé. Le spectacle qui inverse le réel est effectivement produit. En même temps la réalité vécue est matériellement envahie par la contemplation du spectacle, et reprend en elle-même l'ordre spectaculaire en lui donnant une adhésion positive. La réalité objective est présente des deux côtés. Chaque notion ainsi fixée n'a pour fond que son passage dans l'opposé : la réalité surgit dans le spectacle, et le spectacle est réel. Cette aliénation réciproque est l'essence et le soutien de la société existante.
9
Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux.
10
Le concept de spectacle unifie et explique une grande diversité de phénomènes apparents. Leurs diversités et contrastes sont les apparences de cette apparence organisée socialement, qui doit être elle-même reconnue dans sa vérité générale. Considéré selon ses propres termes, le spectacle est l'affirmation de l'apparence et l'affirmation de toute vie humaine, c'est-à-dire sociale, comme simple apparence. Mais la critique qui atteint la vérité du spectacle le découvre comme la négation visible de la vie ; comme une négation de la vie qui est devenue visible.
11
Pour décrire le spectacle, sa formation, ses fonctions, et les forces qui tendent à sa dissolution, il faut distinguer artificiellement des léments inséparables. En analysant le spectacle, on parle dans une certaine mesure le langage même du spectaculaire, en ceci que l'on passe sur le terrain méthodologique de cette société qui s'exprime dans le spectacle. Mais le spectacle n'est rien d'autre que le sens de la pratique totale d'une formation économique-sociale, son emploi du temps. C'est le moment historique qui nous contient.
12
Le spectacle se présente comme une énorme positivité indiscutable et inaccessible. Il ne dit rien de plus que « ce qui apparaît est bon, ce qui est bon apparaît ». L'attitude qu'il exige par principe est cette acceptation passive qu'il a déjà en fait obtenue par sa manière d'apparaître sans réplique, par son monopole de l'apparence.
13
Le caractère fondamentalement tautologique du spectacle découle du simple fait que ses moyens sont en même temps son but. Il est le soleil qui ne se couche jamais sur l'empire de la passivité moderne. Il recouvre toute la surface du monde et baigne indéfiniment dans sa propre gloire.
14
La société qui repose sur l'industrie moderne n'est pas fortuitement ou superficiellement spectaculaire, elle est fondamentalement spectacliste. Dans le spectacle, image de l'économie régnante, le but n'est rien, le développement est tout. Le spectacle ne veut en venir à rien d'autre qu'à lui-même.
15
En tant qu'indispensable parure des objets produits maintenant, en tant qu'exposé général de la rationalité du système, et en tant que secteur économique avancé qui façonne directement une multitude croissante d'images-objets, le spectacle est la principale production de la société actuelle.
16
Le spectacle soumet les hommes vivants dans la mesure où l'économie les a totalement soumis. Il n'est rien que l'économie se développant pour elle-même. Il est le reflet fidèle de la production des choses, et l'objectivation infidèle des producteurs.
17
La première phase de la domination de l'économie sur la vie sociale avait entraîné dans la définition de toute réalisation humaine une vidente dégradation de l'être en avoir. La phase présente de l'occupation totale de la vie sociale par les résultats accumulés de l'économie conduit à un glissement généralisé de l'avoir au paraître, dont tout « avoir » effectif doit tirer son prestige immédiat et sa fonction dernière. En même temps toute réalité individuelle est devenue sociale, directement dépendante de la puissance sociale, façonnée par elle. En ceci seulement qu'elle n'est pas, il lui est permis d'apparaître.
18
Là où le monde réel se change en simples images, les simples images deviennent des êtres réels, et les motivations efficientes d'un comportement hypnotique. Le spectacle, comme tendance à faire voir par différentes médiations spécialisées le monde qui n'est plus directement saisissable, trouve normalement dans la vue le sens humain privilégié qui fut à d'autres époques le toucher ; le sens le plus abstrait, et le plus mystifiable, correspond à l'abstraction généralisée de la société actuelle. Mais le spectacle n'est pas identifiable au simple regard, même combiné à l'écoute. Il est ce qui échappe à l'activité des hommes, à la reconsidération et à la correction de leur oeuvres. Il est le contraire du dialogue. Partout où il y a représentation indépendante, le spectacle se reconstitue.
19
Le spectacle est l'héritier de toute la faiblesse du projet philosophique occidental qui fut une compréhension de l'activité, dominé par les catégories du voir ; aussi bien qu'il se fonde sur l'incessant déploiement de la rationalité technique précise qui est issue de cette pensée. Il ne réalise pas la philosophie, il philosophie la réalité. C'est la vie concrète de tous qui s'est dégradée en univers spéculatif.
20
La philosophie, en tant que pouvoir de la pensée séparée, et pensée du pouvoir séparé, n'a jamais pu par elle-même dépasser la théologie. Le spectacle est la reconstruction matérielle de l'illusion religieuse. La technique spectaculaire n'a pas dissipé les nuages religieux où les hommes avaient placé leurs propres pouvoirs détachés d'eux : elle les a seulement reliés à une base terrestre. Ainsi c'est la vie la plus terrestre qui devient opaque et irrespirable. Elle ne rejette plus dans le ciel, mais elle héberge chez elle sa récusation absolue, son fallacieux paradis. Le spectacle est la réalisation technique de l'exil des pouvoirs humains dans un au-delà ; la scission achevée à l'intérieur de l'homme.
21
A mesure que la nécessité se trouve socialement rêvée, le rêve devient nécessaire. Le spectacle est le mauvais rêve de la société moderne enchaînée, qui n'exprime finalement que son désir de dormir. Le spectacle est le gardien de ce sommeil.
22
Le fait que la puissance pratique de la société moderne s'est détachée d'elle-même, et s'est édifié un empire indépendant dans le spectacle, ne peut s'expliquer que par cet autre fait que cette pratique puissante continuait à manquer de cohésion, et était demeurée en contradiction avec elle-même.
23
C'est la plus vieille spécialisation sociale, la spécialisation du pouvoir, qui est à la racine du spectacle. Le spectacle est ainsi une activité spécialisée qui parle pour l'ensemble des autres. C'est la représentation diplomatique de la société hiérarchique devant elle-même, où toute autre parole est bannie. Le plus moderne y est aussi le plus archaïque.
24
Le spectacle est le discourt ininterrompu que l'ordre présent tient sur lui-même, son monologue élogieux. C'est l'auto-portrait du pouvoir à l'époque de sa gestion totalitaire des conditions d'existence. L'apparence fétichiste de pure objectivité dans les relations spectaculaires cache leur caractère de relation entre hommes et entre classes : une seconde nature paraît dominer notre environnement de ses lois fatales. Mais le spectacle n'est pas ce produit nécessaire du développement technique regardé comme développement naturel. La société du spectacle est au contraire la forme qui choisit son propre contenu technique. Si le spectacle, pris sous l'aspect restreint des « moyens de communication de masse », qui sont sa manifestation superficielle la plus écrasante, peut paraître envahir la société comme une simple instrumentation, celle-ci n'est en fait rien de neutre, mais l'instrumentation même qui convient à son auto-mouvement total. Si es besoins sociaux de l'époque où se développent de telles techniques ne peuvent trouver de satisfaction que par leur médiation, si l'administration de cette société et tout contact entre les hommes ne peuvent plus s'exercer que par l'intermédiaire de cette puissance de communication instantanée, c'est parce que cette « communication » est essentiellement unilatérale ; de sorte que sa concentration revient à accumuler dans les mains de l'administration du système existant les moyens qui lui permettent de poursuivre cette administration déterminée. La scission généralisée du spectacle est inséparable est inséparable de l'Etat moderne, c'est-à-dire de la forme générale de la scission dans la société, produit de la division du travail social et organe de la domination de classe.
25
La séparation est l'alpha et l'oméga du spectacle. L'institutionnalisation de la division sociale du travail, la formation des classes avaient construit une première contemplation sacrée, l'ordre mythique dont tout pouvoir s'enveloppe dès l'origine. Le sacré a justifié l'ordonnance cosmique et ontologique qui correspondait aux intérêts des maîtres, il a expliqué et embelli ce que la société ne pouvait pas faire. Tout pouvoir séparé a donc été spectaculaire, mais l'adhésion de tous à une telle image immobile ne signifiait que la reconnaissance commune d'un prolongement imaginaire pour la pauvreté de l'activité sociale réelle, encore largement ressentie comme une condition unitaire. Le spectacle moderne exprime au contraire ce que la société peut faire, mais dans cette expression le permis s'oppose absolument au possible. Le spectacle est la conservation de l'inconscience dans le changement pratique des conditions d'existence. Il est son propre produit, et c'est lui-même qui a posé ses règles : c'est un pseudo sacré. Il montre ce qu'il est : la puissance séparée se développant en elle-même, dans la croissance de la productivité au moyen du raffinement incessant de la division du travail en parcellarisation de gestes, alors dominés par le mouvement indépendant des machines ; et travaillant pour un marché toujours plus tendu. Toute communauté et tout sens critique se sont dissous au long de ce mouvement, dans le quel les forces qui ont pu grandir en se séparant ne se sont pas encore retrouvées.
26
Avec la séparation généralisée du travailleur et de son produit, se perdent tout point de vue unitaire sur l'activité accomplie, toute communication personnelle directe entre les producteurs. Suivant le progrès de l'accumulation des produits séparés, et de la concentration du processus productif, l'unité et la communication deviennent l'attribut exclusif de la direction du système. La réussite du système économique de la séparation est la prolétarisation du monde.
27
Par la réussite même de la production séparée en tant que production du séparé, l'expérience fondamentale liée dans les sociétés primitives à un travail principal est en train de se déplacer, au pôle de développement du système, vers le non-travail, l'inactivité. Mais cette inactivité n'est en rien libérée de l'activité productrice : elle dépend d'elle, elle est soumission inquiète et admirative aux nécessités et aux résultats de la production ; elle est elle-même un produit de sa rationalité. Il ne peut y avoir de liberté hors de l'activité, et dans le cadre du spectacle toute activité est niée, exactement comme l'activité réelle a été intégralement captée pour l'édification globale de ce résultat. Ainsi l'actuelle « libération du travail », l'augmentation des loisirs, n'est aucunement libération dans le travail, ni libération d'un monde façonné par ce travail. Rien de l'activité volée dans le travail ne peut se retrouver dans la soumission à son résultat.
28
Le système économique fondé sur l'isolement est une production circulaire de l'isolement. L'isolement fonde la technique, et le processus technique isole en retour. De l'automobile à la télévision, tous les biens sélectionnés par le système spectaculaire sont aussi ses armes pour le renforcement constant des conditions d'isolement des « foules solitaires ». Les spectacle retrouve toujours plus concrètement ses propres présuppositions.
29
L'origine du spectacle est la perte d'unité du monde, et l'expansion gigantesque du spectacle moderne exprime la totalité de cette perte : l'abstraction de tout travail particulier et l'abstraction générale de la production d'ensemble se traduisent parfaitement dans le spectacle, dont le mode d'être concret est justement l'abstraction. Dans le spectacle, une partie du monde se représente devant le monde, et lui est supérieure. Le spectacle n'est que le langage commun de cette séparation. Ce qui relie les spectateurs n'est qu'un rapport irréversible au centre même qui maintient leur isolement. Le spectacle réunit le séparé, mais il le réunit en tant que séparé.
30
L'aliénation du spectateur au profit de l'objet contemplé (qui est le résultat de sa propre activité inconsciente) s'exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir. L'extériorité du spectacle par rapport à l'homme agissant apparaît en ce que ses propres gestes ne sont plus à lui, mais à un autre qui les lui représentent. C'est pourquoi le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout.
31
Le travailleur ne se produit pas lui-même, il produit une puissance indépendante. Le succès de cette production, son abondance, revient vers le producteur comme abondance de la dépossession. Tout le temps et l'espace de son monde lui deviennent étrangers avec l'accumulation de ses produits aliénés. Le spectacle est la carte de ce nouveau monde, carte qui recouvre exactement son territoire. Les forces même qui nous ont échappé se montrent à nous dans toute leur puissance.
32
Le spectacle dans la société correspond à une fabrication concrète de l'aliénation. L'expansion économique est principalement l'expansion de cette production industrielle précise. Ce qui croît avec l'économie se mouvant pour elle-même ne peut être que l'aliénation qui était justement dans son noyau originel.
33
L'homme séparé de son produit, de plus en plus puissamment produit lui-même tous les détails de son monde, et ainsi se trouve de plus en plus séparé de son monde. D'autant plus sa vie est maintenant son produit, d'autant plus il est séparé se sa vie.
34
Le spectacle est le capital à un tel degré d'accumulation qu'il devient image.
En 1941 sort Remorques, de Jean Grémillon. La France est occupée. Le film, commencé avant la guerre, a été terminé difficilement. Et les deux vedettes, couple phare du cinéma français, sont en exil à Hollywood. Remorques est le film d’une époque. Celle où Jean Gabin et Michèle Morgan incarnaient un certain romantisme, et ce depuis Quai des brumes (1938). Celle où la noirceur du film peut se lire comme l’expression du pessimisme ambiant. Celle enfin du cinéma de la qualité française, des décors impeccables et des répliques ciselées par la plume de Prévert ou Jeanson.
Remorques se regarde comme un aplat détrempé ou un rouleau déplié. Là réside la modernité du film : dans son absence d'épaisseur métaphysique ou de densité psychologique, dans son refus de l'invisible et de toute poésie factice, c'est-à-dire dans le rendu de la prose du monde.
Membre notoire de Cyclobe, du Coil dernière période et collaborateur occasionnel de Current 93 et Thighpaulsandra, Ossian Brown collectionne depuis plus de dix ans les photos des fêtes de Samhain et d'Halloween. La centaine de clichés datés de 1875 à 1955 qu'il a ainsi réuni se retrouve aujourd'hui dans Haunted Air,accompagné pour l'occasion d'une préface de David Lynch.
Ossian Brown, dit de sa collection et de sa passion de collectionner des photos anonymes :
"I think a lot of them ended up in house clearance sales after the original owner had died, with no one there to inherit them, so they’ve become disembodied from their past – even more so as many of the people in my pictures are wearing masks, and as a result they’ve become untraceable, severed. So aside from scrutinising the houses and gardens, the old barns, there’s nothing to link them back to their families. There’s nothing left of the people behind the masks. They’re no longer wearing masks, they’ve become them – they’re like stranded spectres".
THESE ARE THE PHOTOGRAPHS PIERRE SHOWED ME THEY ARE FROM THE GREAT COLLECTION OF OSSIAN BROWN PIERRE WAS RIGHT - I LIKE THESE PHOTOGRAPHS VERY VERY MUCH DAVID LYNCH
Ni les intellectuels, ni les gens du gratin
Ne comprendront jamais... C'est un mot de misère
Qui ressemble à de l'or à cinq heures du matin.
Ivrogne... et pourquoi pas ? Je connais cent fois pire,
Ceux qui ne boivent pas, qui baisent par hasard,
Qui sont moches en troupeau et qui n'ont rien à dire.
Venez boire avec moi... On s'ennuiera plus tard.
Ivrogne et pourquoi pas
Quand on n'a rien à dire et du mal à se taire,
On peut toujours aller gueuler dans un bistrot,
[...]
Quand on n'a rien à dire et du mal à se taire
On arrive au sommet de l'imbécillité.
Quand on n'a rien à dire
Quand on n'a que son CUL, mais qu'on a la jeunesse, on a l'île aux Trésors à portée de la main !
Il ne faudra jamais dire qu'on était heureux
Qu'on avait du talent, qu'on était magnifiques
Que d'un exploit d'huissier on savait faire du feu
Et que du mal d'amour on faisait des musiques
Bernard Dimey né le 16 juillet 1931 est mort le 1er juillet 1981 poète français et auteur de chansons.
"Penser c'est se mutiler, tous les penseurs sont infirmes".
Le Crachoir du Solitaire, Nihil Messtavic.
Nous ne saurons sans doute jamais qui prit la peine de couvrir ces milliers de pages jaunies d'une fine écriture subtilement déformée par l'angoisse et l'amertume. Son intérêt personnel le portait aussi bien vers la philosophie, la littérature, que vers le dessin et la poésie. Le contenu de la malle me l'a prouvé. C'est tout ce que nous savons de lui. C'est tout ce que nous saurons jamais, fort probablement. Des mois que j'ai passés à transcrire, avec l'aide précieuse d'amis traducteurs, les milliers de pages contenues dans la malle de Nihil Messtavic, je garde l'arrière-goût doux-amer d'une gorgée d'arsenic, la brûlure glacée et voluptueuse d'une lame de rasoir trempée dans l'huile de vitriol. Son désespoir est sans retour, sa funeste attirance pour le néant, illimitée. C'est à la découverte de cette pensée hors norme -- hors le monde -- que je vous convie ici, en commençant sciemment par les plus exigeants des écrits de Messtavic, ses aphorismes et pensées. (Vedma Nàdasty, extrait des Notes introductives).
Extrait:
Rien ne va bien, jamais, tout est toujours en attente sur la grande route du pire.
Lorsque je suis seul, il en reste un de trop!
Le sens de la vie c'est de sonder la mort avant que d'y plonger.
Lorsque la Terre a voulu se suicider, elle a demandé à Dieu de transformer le singe en homme. Une mort lente et douloureuse assurée.
Rien n'est vrai, tout est faux. Sauf la mort.
Qui était-il :
Toute information sur Nihil Messtavic ne peut
que rester spéculative. On ne sait rien sur lui, après plusieurs
recherches je n'ai pu trouver personne portant ce nom. Divers éléments
dans ses écrits nous permettent cependant d'émettre quelques hypothèses :
Il aurait vécu fin XIX° début XX°, en Europe. Certainement d'origine
slave mais pourtant parfaitement polyglotte.
Dates : Les éléments qui
sont à notre disposition, entres autres, sont ses écrits qui font deux
fois allusion à Nietzsche dont il a du être le contemporain. Il place
aussi parfois ses nouvelles dans la société victorienne. Il fait aussi
allusion au Choléra qui dans la seconde moitié du XIX° fit de nombreuses
victimes et marqua les esprits.
Aucune référence à quelque automobile dans les rues, ce qui pourrait
situer sa mort, ou du moins l'arrêt de sa production au début des
années 1900. Pourtant cette supposition reste sujette à caution : toute
l'Europe n'a pas connu l'automobile au début XX°.
Origines et situations géographiques
: Si donner une estimation des dates de sa vie n'est pas chose aisée,
en donner une sur ses origines et ses lieux de résidence devient plus
risqué. En effet, il use de plusieurs langues (anglais, français,
diverses langues slaves ou balkaniques...) il les utilise chacune avec
autant de régularité et semble les maîtriser aussi bien qu'il y fait
d'aberrantes fautes de langage.
Quant aux cadres de ses écrits, si tant est que Messtavic se soit
inspiré de son environnement et non de ses lectures ou imaginations pour
écrire ses nouvelles, ils sont changeants. Aucun indice ne nous permet
de déterminer un lieu en particulier même si plusieurs nous permettent
de penser tout à la fois à l'Angleterre, la région Hongroise, ou même la
Suisse ou la France.
Origines de son nom : Peu de doutes quant au fait qu'il utilisait un pseudonyme, du moins pour son prénom.
Nihil : Très peu de possibilité de conclure quoi que ce soit.
Messtavic : Aucun Messtavic ne semble avoir existé. Pourtant le
suffixe "vic" à la fin du nom peut nous laisser supposer une origine
balkanique : en Ex-Yougoslavie beaucoup de noms de familles ont cette
même terminaison. Pourtant là encore le doute règne car s'il s'avère
qu'il avait adopté un pseudonyme toute spéculation est absurde, d'autant
plus que le doublement du "s" nous empêche de valider cette hypothèse
d'origine adriatique.
Son oeuvre :
L’œuvre de Nihil Messtavic est colossale. Des
nouvelles, des romans, mais aussi un nombre incroyable de feuilles
éparses de poèmes et de courts essais philosophiques (bien que dans ce
domaine il s'agisse le plus souvent d'aphorismes de quelques lignes).
Philosophie : Sa volonté était
de fonder sa propre philosophie loin de toute influence historique,
universitaire ou littéraire. S’il répond à d’autres philosophes (et
c’est rarissime) c’est avec un certain dédain, pour critiquer
négativement leur pensée.
On pourrait ainsi résumer sa pensée : La réalité n’offre qu‘une
liberté limitée, l’humanité est l’expression des plus viles tendances de
la nature car elle y ajoute la conscience, le vice et le mensonge, et
Dieu est la figure de cet enfer. Ainsi lucide sur cet état de fait
pourquoi se contenter de cette souffrance, pourquoi l’accepter? Il faut
détrôner Dieu, en prendre la place, nier l’arbitraire réalité, se
détacher aussi bien de l’humain qui nous entoure que des parts
d'humanité et de nature physique qui nous imprègne. En bref suivre une
voie solipsiste tout en restant conscient qu’une part de soi reste
prisonnière de la commune réalité et que la vie n’est qu’une
circonstance absurde.
Une vision pessimiste mais lucide, une tendance sceptique et nihiliste
mais qui veut transcender le néant, qui ne voit que l’égoïsme, une
certaine forme de folie et la solitude, parfois la mort, pour se sauver
de la décadence d'être humain.
Bien que ses écrits insistent sur la dépréciation de l’existence,
Messtavic ne s’enferme pas uniquement dans ce pessimisme inerte, il
offre toujours la voie du suicide comme la tentation vers un néant
acceptable, de la même façon qu’il propose l’imaginaire comme refuge
digne d'estime et comme alternative sensée à l'absurde.
Romans et nouvelles : Une
plume obscurément raffinée. Différentes tendances littéraires se
dégagent des ces types d'écrits. On pourrait ainsi les classer en deux
thèmes : Fantastique et Tragique. Fantastique : Les thèmes habituels de son époque sont
abordés : fantômes, revenants, vampires, objets maudits... Des
nouvelles qui malgré leur laconisme et leur brutalité (il faut y voir
l'absence totale de censure ou d'idée de publication, donc une liberté
totale à une époque cloîtrée dans les convenances) s'inscrivent dans la
lignée des écrits fantastiques d'alors. Tragique : Les nouvelles à caractère non fantastique
sont minoritaires dans l'oeuvre de Messtavic, elles n'en sont pas moins
des éléments remarquables. Traitant le plus souvent de personnages
solitaires destinés à ne ressentir que les froids murs de l'absurde et
de la mélancolie. Ces écrits poétiques, parfois de véritables poèmes en
prose, semblent symboliser l'inexorable besoin de savoir que la mort,
presque divinisée à travers les mots, existe bel et bien, qu'elle offre
un néant en tous points opposé à la désagréable agitation de
l'existence.
Poésie : Le plus souvent en
rimes libres, ses poèmes ont pour thèmes majeurs la mort, la folie et le
déchirement de l’être prisonnier de la réalité. Volontiers
mélancoliques et lugubres ils ne sont pas sans évoquer Poe ou
Baudelaire, même si leur forme diffèrent énormément et que la violence
de ceux de Messtavic sont plus exacerbés.
Après avoir déployé, des Vénus callipyges aux hardeurs du porno, de Messaline à Jean de la Croix, le vaste panorama des paysages et créations historiques, Dadoun s’attache à cerner les sources profondes, nocturnes et nourricières de l’Éros : libido fœtale dans la nuit matriciante de la gestation ; nuits matricielles du rêve, voie royale de l’universelle empreinte d’Éros.
L'érotisme
L'érotisme expose et fait exploser la sexualité dans toutes ses dimensions, de l'obscène au sublime. Picasso proclame : « L'art et le sexe, c'est la même chose ». Duchamp monte d'insolites mises à nu sous le signe de Rrose Sélavy (Éros, c'est la vie). Jérôme Bosch exalte et torture les corps pour composer un art d'aimer édénique. Ingres, Bonnard, Michel-Ange et tant d'autres chantent une chair que Schiele décharne jusqu'à l'os et que Klimt couvre d'or... Sade pousse Éros vers l'horreur, Fourier promet un Nouveau monde amoureux où « chacun a raison en amour », Le Surmâle de Jarry brûle d'amour, et Kubrick dit son dernier mot : « Fuck ! »
Résumé : L'idéalisation de l'enfance va de pair avec la maltraitance. La littérature enfantine anglaise du XIXe siècle témoigne de cette réalité, ancrée dans l'histoire familiale de ses auteurs.
Charles Lutwidge Dodgson, alias Lewis Carroll - auteur glorifié d'Alice au Pays des Merveilles - souffrait d'une obsession maladive pour les fillettes. Ses œuvres d'écrivain et de photographe, ainsi que l'abondante correspondance intime qu'il a léguées, permettent de reconstituer l'univers dans lequel il a vécu et de mettre à jour l'origine de ses névroses sexuelles. Ainsi, l'idéalisation de l'enfance qui caractérise la littérature enfantine inaugurée par Carroll porte-t-elle les marques de l'abus et de l'enfermement dans lequel des générations d'enfants furent tenus. Et c'est pourquoi ces écrits fascinent tant.
Idolâtrie
« J'espère que vous m'autoriserez à photographier tout au moins Janet nue ; il paraît absurde d'avoir le moindre scrupule au sujet de la nudité d'une enfant de cet âge. » (1) Quand il écrit ces lignes péremptoires à la mère de trois fillettes, Lewis Carroll a derrière lui une longue pratique de la photographie, largement dédiée à ses « amies-enfants », avec lesquelles l'honorable professeur de mathématiques entretient des relations passionnées. Au Christ Church College où il enseigne, la résidence de Carroll ressemble à une nursery remplie de jouets animés et lorsqu'il y invite une enfant particulièrement exquise, il écrit dans son journal : « Je marque ce jour d'une pierre blanche. » Vers 1850, il commence à photographier les fillettes dans des poses d'héroïnes de contes de fées, puis passe à des clichés déshabillés qu'il exige qu'on détruise après sa mort, avant d'abandonner la photographie en 1880 (2).
Dans le milieu rigoriste et bourgeois où évolue l'auteur d'Alice, il est fréquent pour un homme respectable d'idolâtrer les petites filles. Lewis Carroll - qui restera célibataire toute sa vie - est incapable d'une relation adulte et exprime ouvertement la satisfaction qu'il tire de ses fréquentations juvéniles. Alors dans la soixantaine, il écrit par exemple à la mère d'une autre de ses « amies-enfants » : « Merci, mille mercis de m'avoir à nouveau prêté [sic] Edith. C'est une enfant des plus adorables. C'est vraiment bon - je veux dire pour la vie spirituelle, au sens où il est bon de lire la Bible - d'être au contact de tant de douceur et d'innocence. » (3)
Mais le sentimentalisme victorien cache mal une obsession perverse pour le corps de l'enfant, particulièrement celui des fillettes. S'exprimant dans son journal intime, un pasteur anglican décrit sa rencontre avec une demoiselle en tenue d'Ève, posant sur la plage pour un artiste : « Elle laissait voir sa taille fine et souple, les douces rondeurs de la poitrine, des seins naissants, la ligne charmante et gracieuse de jolis membres délicats, et par-dessus tout les douces et délicieuses courbes des fesses roses potelées et de larges cuisses blanches. » (4)
Mère idéalisée
L'enfance de Charles L. Dodgson est tout entière baignée dans l'univers concentrationnaire de l'Angleterre victorienne. Son père, pasteur d'un petit village du Cheshire, a un goût prononcé pour le nonsense, une forme d'expression littéraire typiquement britannique dans laquelle les canards se cachent dans des tasses à café et les notables sont changés en gâteau. Très précoce, Charles anime des spectacles familiaux pour amuser ses sœurs et compose à son tour toutes sortes de textes, apparemment sans queue ni tête, qui préfigurent déjà les récits d'Alice. À douze ans, il écrit un poème dans lequel il imagine faire bouillir l'une de ses sœurs en ragoût et donne à un frère cadet ce conseil étonnant : « Ne rugissez point de crainte d'être aboli ! » (5)
La terreur qui règne chez les Dodgson est telle que sept des onze enfants de la famille sont affligés d'un bégaiement. Charles souffrira toute sa vie de ce handicap qui ne le quitte qu'en présence de ses « amies-enfants ». Son éducation est entièrement dévolue à la répression de toute émotion, de tout élan vital au point que le jeune Dodgson développe une retenue et une maniaquerie obsessionnelles. Il consacre l'énergie qui lui reste à divertir ses sœurs et sa mère, une femme exigeante, épuisée par de fréquentes grossesses, qui meurt à quarante-sept ans, deux jours après que Charles eut quitté la maison pour le Christ Church College, où il commence ses études supérieures. Pour tenter d'enfouir le souvenir des mauvais traitements qui lui furent infligés, il fait de son enfance une période idéale qu'il regretterait à jamais :
Je donnerais bien volontiers toutes les richesses, Fruits amers du déclin de la vie Pour être à nouveau petit enfant Durant une seule journée d'été. (6)
Furie éducative
La figure de la mère idéalisée est celle que cultive compulsivement Carroll dans ses relations avec ses « amies-enfants ». Ces amitiés si intensément vécues sont en même temps déchirantes, puisqu'elles portent les stigmates de son calvaire d'enfant face à une mère distante et cruelle. À une petite fille rencontrée sur la plage, il écrit : « Ô mon enfant, mon enfant ! J'ai tenu ma promesse hier après-midi et je suis descendu à la mer pour me promener avec vous le long des rochers, mais je vous ai aperçue en compagnie d'un autre monsieur, alors je me suis dit que vous ne vouliez pas de moi pour le moment. » (7) Parfois, il ne peut réprimer un reproche déplacé qu'il adresse en réalité à sa mère, par personne interposée. À une amie de neuf ans, il confie : « Expliquez-moi comment je vais m'amuser à Sandown sans vous. Comment pourrai-je me promener sur la plage, seul ? Comment pourrai-je m'asseoir, tout seul, sur ces marches de bois ? » (8)
La fureur maternelle, que Carroll n'est pas même en mesure d'entrevoir consciemment, transparaît dans ses écrits. Alice est une sorte de cauchemar permanent, un monde violent où dès les premières pages les objets familiers volent en tous sens. L'héroïne dégringole au fond d'un terrier, une cuisinière jette casseroles et assiettes à la tête d'un bébé et, si le personnage central du roman s'en tient à ses bonnes manières, la moindre étourderie peut être punie de mort : « Eh bien, voyez-vous, mademoiselle, confie un jardinier à Alice, le fait est que ce rosier-ci eût dû être un rosier fleuri de roses rouges, et que nous avons planté là, par erreur, un rosier blanc ; or, si la reine venait à s'en apercevoir, nous serions tous assurés d'avoir la tête tranchée. » (9)
Aux dires de Carroll, la Reine de Cœur représente la passion incontrôlable. « C'est une sorte de Furie aveugle dont la rage est sans objet » écrit-il en 1887 dans la revue The Theatre (10). Il est vraisemblable que ce personnage symbolise une facette particulièrement terrorisante de Frances Jane Dodgson, mère de Charles.
Flagellations
Pour trouver l'origine de cette hystérie larvée - que Mrs Dodgson elle-même devait craindre comme la peste -, il faut revenir sur les pratiques éducatives de l'Angleterre victorienne, particulièrement celles des cercles religieux dont Lewis Carroll est issu. L'Ancien Testament encourage ouvertement les parents à battre leurs enfants (11) et toute joie de vivre est sévèrement condamnée. Dans les public schools - un terme qui désigne en fait les établissements privés où l'élite bourgeoise abandonnait sa progéniture -, filles et garçons sont frappés en public, lors de rituels de flagellation au caractère ouvertement érotisé (12).
Ces tortures pervertissent l'enfant pour qui violences et humiliations deviennent indissociables de la relation intime. Charles Kingsley, un écrivain et théologien contemporain de Carroll, recommandait par exemple à sa fiancée un régime d'abstinence et des flagellations avant de consommer leur mariage et lui envoyait des portraits de leur couple faisant l'amour enchaîné sur une croix. Il est l'auteur d'un ouvrage destiné aux enfants, The Water Babies (1863), où abondent les images de culpabilité et de souillure sexuelles (13).
Par contraste, la fillette incarne un fantasme de chasteté et d'innocence, dont on peut consommer la pureté sans jamais craindre les foudres parentales ou remettre en question l'idéal maternel. Carroll a une certaine intuition des excès qu'il commet envers ses « amies-enfants » lorsqu'il fait dire, par exemple, à l'une d'elles : « Bou ! Hou ! Il y a Mr. Dodgson qui a bu ma santé, qu'il ne m'en reste plus une goutte. » (14) Mais sa compulsion l'enchaîne et le dégoûte au point qu'il s'astreint à une discipline rigoureuse pour tenter de maîtriser sa passion dévorante. Au St Bartholomew Hospital, il assiste une heure durant à une amputation de la jambe pour vérifier si, en cas d'urgence, il serait capable d'être « à la hauteur de la situation. » (15) C'est à son propre élan vital qu'il fait désormais subir la castration psychique infligée dans le douloureux apprentissage des « bonnes » manières. Sa sensibilité pervertie lui répugne, comme jadis son exhubérance de petit garçon insupportait sa mère, figée dans la terreur de sa propre vie, à laquelle il sacrifia néanmoins son âme d'enfant.
Marc-André Cotton
Notes :
(1) L. Carroll à Mrs Mayhew, 27 mai 1879, in The Collected Letters of Lewis Carroll, éd. Marton Cohen, Londres, 1979.
(2) Voir Lewis Carroll, un photographe victorien, éd. du Chêne, Paris, 1979 ou http://aliceaupaysdunet.free.fr/pages/index.htm.
(3) L. Carroll à Mrs Stevens, 1er juin 1892, ibid.
(4) Francis Kilvert, Diary, 13 juillet 1875, p. 232.
(5) Cité par Jackie Wullschläger, Lewis Carroll : l'enfant-muse, in Enfances rêvées, éd. Autrement, coll. Mutations No 170, mars 1997, p. 43.
(6) Cité par J. Wullschläger, op. cit., p. 44.
(7) L. Carroll à Emily ou Violet Gordon, in The Collected Letters, 14 août 1877, op. cit.
(8) L. Carroll à Gertrude Chataway, 21 juillet 1876, ibid.
(9) L. Carroll, Tout Alice, trad. H. Parisot, éd. Flammarion, 1979, p. 158.
(10) L. Carroll, Alice on the Stage, The Theatre, avril 1887.
(11) Il précise même que l'enfant indocile doit être lapidé « jusqu'à ce que mort s'en suive » (Deutéronome, 21-21).
(12) Lire Jonathan Benthall, Invisible Wounds : Corporal Punishment in Brithish Schools as a Form of Ritual, Child Abuse and Neglect 15 (1991), pp. 377-388.
(13) Cité par J. Wullschläger, in Enfances rêvées, op. cit., p. 37.
(14) L. Carroll à Gertrude Chataway, in The Collected Letters, op. cit., p. 230.
(15) The Diaries of Lewis Carroll, vol. I, Roger L. Green, Londres, 1953, 19 décembre 1857.
(16) Christina Rossetti, Speaking Likenesses, citée par Jackie Wullschläger, in Enfances rêvées, op. cit. p. 37.
Née à New York City, romancière, poète et artiste de performance, Kathy Acker en vient à être associée avec le mouvement punk des années 1970 et 80 qui touche largement la culture dans et autour de Manhattan. Toutefois, dès sa majorité, elle se déplace quelque peu. Elle reçoit son B.A. à l'Université de Californie, San Diego en 1968. Elle passe deux années en post-diplôme à la City University de New York mais la quitte avant d'être diplômée. Elle reste à New York et travaille en tant que file clerk, secrétaire, stripteaseuse et actrice porno.
Elle se marie et divorce deux fois, et est ouvertement bisexuelle durant toute sa vie. En 1979, elle gagne le Prix Pushcart pour son roman New York City. Au début des années 1980, elle vit à Londres, où elle écrit plusieurs de ses travaux les plus acclamés. Après être retournée aux États-Unis, elle travaille comme professeur adjointe à l'Institut d'Art de San Francisco et comme professeur invité dans plusieurs universités, dont l'Université d'Idaho, de Californie, de San Diego, l'Institut des Arts de Californie et le Roanoke College. Elle meurt à Tijuana au Mexique dans une clinique alternative où elle est traitée pour un cancer du sein.
Le corpus des œuvres d'Acker emprunte fortement aux styles expérimentaux de William S. Burroughs et de Marguerite Duras. Elle utilise souvent des formes extrêmes de pastiche et même la technique de cut-up de Burroughs, laquelle consiste en couper des passages ou des phrases et à les réagencer de façon aléatoire pour un résultat autre. Acker elle-même situe son écriture à l'intérieur de la tradition européenne du nouveau roman. Dans ses textes, elle combine des éléments biographiques, pouvoir, sexe et violence en un cocktail explosif. Les critiques comparent souvent son écriture à celle de Alain Robbe-Grillet et de Jean Genet et ont noté des liens avec Gertrude Stein et les photographes Cindy Sherman et Sherrie Levine. Les romans d'Acker montrent également une fascination pour l’art du tatouage1.
Quoiqu’associés avec des artistes généralement respectés, les romans d'Acker les plus reconnus, Blood and Guts in High School, Great Expectations et Don Quixote reçoivent une attention critique mitigée. La plupart des critiques reconnaissent la manipulation talentueuse d'Acker en ce qui concerne les textes plagiés d'auteurs aussi variés que Charles Dickens, Marcel Proust, et le Marquis de Sade. Elle a tout autant prise sur la théorie poststructuraliste qu’une familiarité avec l'histoire littéraire. Beaucoup de critiques, toutefois, trouvent ses explorations non linéaires inutilement incohérentes et difficiles à lire.
Les critiques féministes répondent également fortement à ses œuvres, à la fois pour et contre son écriture. Pendant que certains font l'éloge de l'exposition d'une société capitaliste misogyne qui utilise la domination sexuelle comme une forme clé d'oppression, d'autres argumentent que l’utilisation extrême et fréquente d'images sexuellement violentes anesthésie rapidement et génère une objectification dégradante pour la femme. En dépit de critiques répétées, Acker maintient qu'afin de mettre au défi les structures de pouvoir phallocentrique du langage, la littérature doit non seulement expérimenter avec la syntaxe et le style, mais également donner une voix aux sujets tus qui marginalisent les tabous communs. L'inclusion de sujets controversés comme l'avortement, le viol, l'inceste, le terrorisme, la pornographie, la violence graphique, et le féminisme vont dans ce sens.
Acker publie son premier livre, Politics, en 1972. Bien que cette collection de poèmes et essais ne recueille pas énormément d'attention de la part des lecteurs ou des critiques, cela lui confère une réputation au sein de la scène punk new-yorkaise. En 1973, elle publie son premier roman The Childlike Life of the Black Tarantula: Some Lives of Murderesses sous le pseudonyme de « Black Tarantula ». En 1974, elle publie son second roman, I Dreamt I Was a Nymphomaniac: Imagining.
En 1978, elle publie une collection de trois romans. Florida parodie le film noir classique Key Largo de John Huston de 1948, Kathy Goes to Haiti détaille les exploits relationnels et sexuels d'une jeune femme pendant ses vacances, et The Adult Life of Toulouse Lautrec by Henri Toulouse Lautrec constitue une autobiographie fictionnelle de l'artiste français du xixe siècle.
En 1979, Acker reçoit finalement une attention populaire lorsqu’elle gagne le prix Pushcart pour son roman New York City. Elle ne reçoit cependant pas de reconnaissance de la part des critiques, jusqu'à ce qu'elle publie Great Expectations en 1982. L'introduction de Great Expectations est une claire réécriture du roman de Charles Dickens portant le même nom. Il comporte les thèmes habituels d'Acker, y compris un conte semi-autobiographique du suicide de sa mère et l'appropriation de plusieurs autres textes, y compris de la pornographie française. Cette même année, Acker publie un livre intitulé Hello, I’m Erica Jong.
En dépit de la reconnaissance grandissante qu'elle obtient pour Great Expectations, Blood and Guts in High School est souvent considérée comme l'œuvre qui a fait percer Acker. Publiée en 1984, c'est l'une de ses explorations les plus extrêmes de la sexualité et de la violence. Elle emprunte notamment, entre autres textes, à The Scarlet Letter deNathaniel Hawthorne. Blood and Guts détaille les expériences de Janey Smith, une citadine obsédée par le sexe et atteinte par une maladie inflammatoire de son propre sexe, amoureuse de son père qui la vend comme esclave. Beaucoup de critiques ont pointée cette œuvre pour être dégradante envers les femmes et, l'Allemagne et l'Afrique du Sud l'ont interdite intégralement.
En 1984, Acker publie My Death My Life by Pier Paolo Pasolini et un an après Algeria: A Series of Invocations because Nothing Else Works. En 1986, elle publie Don Quixote, un autre de ses romans les plus acclamés. Dans la version d'Acker du classique de Miguel de Cervantes, « Don Quixote » devient une jeune femme obsédée par la théorie poststructuraliste, l'amenant jusqu'à un extrême nihilisme. Elle révèle le lot de mensonges et falsifications du monde, ne croit en rien et considère l'identité comme une construction fictive interne. Marchant autour de New York City et de Londres avec son chien St. Simeon, qui lui sert de Sancho Panza, Don Quixote attaque les sociétés sexistes tout en dénigrant les mythologies féministes.
Acker publie Empire of the Senseless en 1988 et considère cette œuvre comme un tournant dans son écriture. Quoiqu'elle effectue toujours des emprunts à d'autres textes, dont les aventures de Huckleberry Finn de Mark Twain, le plagiat est moins évident. Le roman tient aux voix de deux terroristes, Abhor, à moitié humain et à moitié robot, et son amant Thivai. L'histoire a lieu dans les restes délabrés d'un Paris post-révolutionnaire. Comme ses autres œuvres, Empire of the Senseless inclut violence graphique et sexualité. Cependant, ce roman se préoccupe beaucoup plus de la langue que ses œuvres précédentes. En 1988, elle publie également Literal Madness: Three Novels qui inclut les travaux précédemment édités Kathy Goes to Haiti, My Death My Life by Pier Paolo Pasolini, et Florida.
Entre 1990 et 1993, Acker publie quatre livres supplémentaires : In Memoriam to Identity (1990), Hannibal Lecter, My Father (1991), Portrait of an Eye: Three Novels (1992), comprenant également les travaux déjà édités, et My Mother: Demonology (1992). Maints critiques se plaignent que ces dernières œuvres sont devenues superflues et prévisibles, attendu qu’Acker a continué à explorer les mêmes tabous de façon semblable. Son dernier roman, Pussy, King of the Pirates, édité en 1996, montre des signes d'intérêts élargis d'Acker, incorporant plus d'humour, une imagination plus légère et prenant en considération des textes orientaux et la philosophie qui étaient en grande partie absents dans ses premières œuvres.